Où sont les poètes ?  
Citadelles
Toiles sous les ponts


Sur le chemin pour rentrer chez moi,

en passant sous les ponts,

j’ai observé les citadelles

des tisseuses de vide,

de lumière

et à la nuit tout juste tombé sous mes pas

j’ai confié mes souvenirs mes tristesses

comme on tend un fil d’un point à un autre,

un maillage.

 

J’ai lu aujourd’hui des choses sur

les motifs temporels dans lesquels nous sommes pris

sur le développement des non-lieux

par la contraction de l’espace,

et le temps comme seul point de repère

qui appuie de tous ses doigts et tasse

ce qui reste de notre rapport à autour.

 

La compression du présent

et le cycle de l’accélération

en boucle auto-alimentée

m’ont fait m’arrêter devant les

milieux transparents

comme en réponse à la raréfaction du temps

comme pour attraper ce qu’il en reste et

parce que je crois que c’est en avalant

quelques secondes

prises dans des toiles visibles rien que par

la nuit qui vient de tomber sous nos pas

que les non lieux

sans histoire sans identité sans relation

prennent du sens

en refuges de décélération,

en citadelles de silence.

 

J’y pense, en filant sous les arbres noirs

et par les dernières ombres.

En agitant la tête

j’ai vu les feuilles roussir à vu d’oeil

et quelques sursauts de gestes,

d’oscillations,

par les fenêtres ouvertes aux passants.

Encore donc

les nouveaux espaces

les tremblements dans l’air et moi au bout

l’acceptation de la finitude face à la multiplicité d’expériences autres

l’attention à autour comme remède à la hâte

la lutte contre la contraction de l’espace provoquée virtuellement

par la vitesse des transports

et de la communication

en grands recueillements du temps dans le corps

les pieds au sol

et la tête lourde, faite pour ça

une balise d’orientation

une inertie nécessaire

 

et face à moi toujours le mouvement

et les bras qui se tiennent

et ne se lâchent pas.


Anna Pichot

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