Où sont les poètes ?  
Je connais presque ton odeur
Le gîte de la Faîte et Laval


Le départ en voyage se fait en grands vertiges

de fatigue qui troublent

jusqu’au ciel puisqu’il se met à pleuvoir.

 

Tout passe vite et en à peine quelques bonjour

nous sommes entourés de bois et de pierre qui isolent

d’un vert voilé par nos souffles;

ils roulent en brouillard entre les conifères.

 

On ne pénètre le paysage que si on accepte ses gouttes jusqu’au fond des yeux,

alors il crache des silhouettes de chevaux

et des limaces jusque dans les lavabos.

 

Tous ensemble autour d’une table qui nous enlace,

et les pizzas,

on se raconte des histoires de couleurs et de jumelage par les actes.

 

On rit de se savoir au même endroit.

 

On joue du piano en comblant les désaccords par nos rires

et enfin, on s’endort

blottis dans nos lits comme dans les contes

avec trois ours

et des boucles d’or.

                                                                                                                                                

Le lendemain l’envie de toucher tout par les yeux se fait forte,

je pars vite.

 

Au début

passage dans une ville vide et de briques

il y a une grille et derrière un chien

un chien un loup peut-être

de toute sa taille à l’arrière d’une camionnette

derrière encore

une grille

une grande cage à roue,

et lui calme dedans.

on se fixe un peu en silence, au travers des deux grilles et

par moirage il devient un peu humain

et moi sûrement un peu chien.

 

J’avance vite et ne m’arrête à nouveau que devant un ogre

de bois

dessous la légende s’étale en vert sur jaune,

comme les fausses guêpes, les mouches malignes et qui trompent,

 

Les Bruyêrois ne vous en parleront probablement pas, en tout cas ils ne m’ont rien dit. Mais une chose est sûre, pour l’avoir vécu, il n’est pas rare, par une nuit de pleine Lune d’entendre l’ogre dans le vallon de l’Avison ! Mieux que cela, pour qui en aurait le courage, il est même possible de l’observer danser et festoyer avec toute une troupe de Sotrés accompagnant de bon cœur et de vive voix l’ogre de ces bois.

 

Embrassée par les cyprès je grimpe sur des sentiers qui bouffent de lumières et d’ombres

tous les traits.

 

Tout en haut,

la tour de l’Avison domine Bruyères

et mes yeux y sautent de coin en coin

comme une tique depuis les fougères,

ou depuis un banc

et Kyliann au bout.

 

J’emprunte le chemin de la paix et de la liberté jusqu’à une chapelle discrète

dans le grès rose

un hommage au sergent Kuroda;

la chapelle de la Roche où on ne peut que passer

et lui qui reste figé là.

 

Je me perds un peu ensuite,

les balises ne sont plus jamais les bonnes

et les câbles non plus,

tout s’éteint.

 

Sans carte, je me retrouve seule avec la source

et déjà il faut remonter son courant.

 

Je cours aux retrouvailles en abandonnant ravins et étangs derrière moi,

comme si le mystère se devait encore d’exister.

 

Je marche vite le long des routes, je coupe la carte de diagonales de béton.

Je tisse une toile, un quadrillage évident

du paysage.

J’ai conscience que chaque pas comme chaque seconde me rapproche

de la rencontre avec les autres mais aussi,

et ça m’y fait penser,

avec toi.

 

C’est peut-être pour ça que j’ai ce besoin de tout parcourir,

de comprendre le tout autour

à défaut de tenir entre mes mains

le sens

la pulpe essentielle de ce qui se déroule

à l’intérieur

de mon organe

frontière

et du tien.

 

Alors je réfléchis à des mots pour toi, pour te sentir un peu au bout de ma langue

 

mais elle tourne seule contre mon palais, très près de mes dents et

j’ai la bouche pleine de l’eau que j’oublie de boire

j’ai des gouttes le long des omoplates et

jusqu’au genoux d’essayer avant l’heure de te savoir.

 

C’est comme s’il ne fallait rien figer main

tenant,

comme si le mystère se devait encore d’exister.

 

Je pense à toi dans ma solitude forcée par des choses

que je ne comprends pas vraiment

mais qui sont pourtant au centre de notre lien.

Nos écrans, le réseau, le maillage électrique,

intangibles et pourtant,

je connais la courbure de tes yeux quand tu souris

et presque ton odeur.

 

La distance ne me sépare pas de toi

et je sais que tu me vois,

même sans ton regard dans le mien.

 

Il se passe quelque chose comme une intrication

de tes boucles aux miennes.

 

Je récolte sur le chemin des bribes pour toi,

et sans le savoir tu tiens par ta mémoire

et derrière tes cils

ma manière intime d’arpenter le monde

 

donc finalement c’est moi

 

que tu tiens par ta mémoire

et derrière tes cils,

comme si le mystère ne devait plus tant exister.

 

Je marche vite le long des routes jusqu’à rattraper d’autres trajectoires,

et le groupe.

À la croisée des chemins deux chevaux de traie,

et deux personnes à la lisière d’une balade

mais aussi deux chiens pareils et qui cette fois,

eux,

sortent le museau de la grille

pour hurler sur les passant•es.

 

Tout communique à nouveau donc.

 

On rentre au gîte en ramassant fraises et tiques.

Tout rentre dans le corps par la peau par la bouche.

Comme si déjà le lieu nous avait changé

un peu

avec nos salives comme empreintes dans le compost,

à la surface des peaux de pastèques, et

leur jus

partout au sol.


Anna Pichot

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