Le départ en voyage se fait en grands vertiges
de fatigue qui troublent
jusqu’au ciel puisqu’il se met à pleuvoir.
Tout passe vite et en à peine quelques bonjour
nous sommes entourés de bois et de pierre qui isolent
d’un vert voilé par nos souffles;
ils roulent en brouillard entre les conifères.
On ne pénètre le paysage que si on accepte ses gouttes jusqu’au fond des yeux,
alors il crache des silhouettes de chevaux
et des limaces jusque dans les lavabos.
Tous ensemble autour d’une table qui nous enlace,
et les pizzas,
on se raconte des histoires de couleurs et de jumelage par les actes.
On rit de se savoir au même endroit.
On joue du piano en comblant les désaccords par nos rires
et enfin, on s’endort
blottis dans nos lits comme dans les contes
avec trois ours
et des boucles d’or.
Le lendemain l’envie de toucher tout par les yeux se fait forte,
je pars vite.
Au début
passage dans une ville vide et de briques
il y a une grille et derrière un chien
un chien un loup peut-être
de toute sa taille à l’arrière d’une camionnette
derrière encore
une grille
une grande cage à roue,
et lui calme dedans.
on se fixe un peu en silence, au travers des deux grilles et
par moirage il devient un peu humain
et moi sûrement un peu chien.
J’avance vite et ne m’arrête à nouveau que devant un ogre
de bois
dessous la légende s’étale en vert sur jaune,
comme les fausses guêpes, les mouches malignes et qui trompent,
Les Bruyêrois ne vous en parleront probablement pas, en tout cas ils ne m’ont rien dit. Mais une chose est sûre, pour l’avoir vécu, il n’est pas rare, par une nuit de pleine Lune d’entendre l’ogre dans le vallon de l’Avison ! Mieux que cela, pour qui en aurait le courage, il est même possible de l’observer danser et festoyer avec toute une troupe de Sotrés accompagnant de bon cœur et de vive voix l’ogre de ces bois.
Embrassée par les cyprès je grimpe sur des sentiers qui bouffent de lumières et d’ombres
tous les traits.
Tout en haut,
la tour de l’Avison domine Bruyères
et mes yeux y sautent de coin en coin
comme une tique depuis les fougères,
ou depuis un banc
et Kyliann au bout.
J’emprunte le chemin de la paix et de la liberté jusqu’à une chapelle discrète
dans le grès rose
un hommage au sergent Kuroda;
la chapelle de la Roche où on ne peut que passer
et lui qui reste figé là.
Je me perds un peu ensuite,
les balises ne sont plus jamais les bonnes
et les câbles non plus,
tout s’éteint.
Sans carte, je me retrouve seule avec la source
et déjà il faut remonter son courant.
Je cours aux retrouvailles en abandonnant ravins et étangs derrière moi,
comme si le mystère se devait encore d’exister.
Je marche vite le long des routes, je coupe la carte de diagonales de béton.
Je tisse une toile, un quadrillage évident
du paysage.
J’ai conscience que chaque pas comme chaque seconde me rapproche
de la rencontre avec les autres mais aussi,
et ça m’y fait penser,
avec toi.
C’est peut-être pour ça que j’ai ce besoin de tout parcourir,
de comprendre le tout autour
à défaut de tenir entre mes mains
le sens
la pulpe essentielle de ce qui se déroule
à l’intérieur
de mon organe
frontière
et du tien.
Alors je réfléchis à des mots pour toi, pour te sentir un peu au bout de ma langue
mais elle tourne seule contre mon palais, très près de mes dents et
j’ai la bouche pleine de l’eau que j’oublie de boire
j’ai des gouttes le long des omoplates et
jusqu’au genoux d’essayer avant l’heure de te savoir.
C’est comme s’il ne fallait rien figer main
tenant,
comme si le mystère se devait encore d’exister.
Je pense à toi dans ma solitude forcée par des choses
que je ne comprends pas vraiment
mais qui sont pourtant au centre de notre lien.
Nos écrans, le réseau, le maillage électrique,
intangibles et pourtant,
je connais la courbure de tes yeux quand tu souris
et presque ton odeur.
La distance ne me sépare pas de toi
et je sais que tu me vois,
même sans ton regard dans le mien.
Il se passe quelque chose comme une intrication
de tes boucles aux miennes.
Je récolte sur le chemin des bribes pour toi,
et sans le savoir tu tiens par ta mémoire
et derrière tes cils
ma manière intime d’arpenter le monde
donc finalement c’est moi
que tu tiens par ta mémoire
et derrière tes cils,
comme si le mystère ne devait plus tant exister.
Je marche vite le long des routes jusqu’à rattraper d’autres trajectoires,
et le groupe.
À la croisée des chemins deux chevaux de traie,
et deux personnes à la lisière d’une balade
mais aussi deux chiens pareils et qui cette fois,
eux,
sortent le museau de la grille
pour hurler sur les passant•es.
Tout communique à nouveau donc.
On rentre au gîte en ramassant fraises et tiques.
Tout rentre dans le corps par la peau par la bouche.
Comme si déjà le lieu nous avait changé
un peu
avec nos salives comme empreintes dans le compost,
à la surface des peaux de pastèques, et
leur jus
partout au sol.